Revivre l’esprit de la bohème à Montmartre le temps d’une balade

J’ai adoré ma balade de la semaine dernière à Montmartre, sur les traces des artistes qui y ont vécu au 19e siècle. C’est la troisième balade proposée par la start-up Des Mots et Des Arts sur le thème de la vie d’artiste, après celles à Saint-Germain des Prés et à Montparnasse tout aussi passionnantes !

Les artistes se sont en effet installés dans des quartiers différents au cours du temps : le quartier latin jusqu’à la fin du 18e siècle, à Montmartre au 19e donc, à Montparnasse de 1900-1910 jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale. Dans les années 40, c’est le retour à Saint-Germain. Enfin depuis les années 70, c’est plutôt une diaspora dans Paris qui s’opère…

Ce qu’on appelle « La bohème » commence dès les années 1830, au moment de la Révolution de Juillet contre le roi Charles X. Louis Philippe se proclame alors « Roi des français » (et non plus « de France ») et utilise le drapeau de la Révolution comme emblème. Delacroix le célébrera dans sa Liberté guidant le peuple, qui ne fait donc pas allusion à la Révolution de 1789 contrairement à ce qu’on pourrait croire !

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La Liberté guidant le Peuple, Eugène Delacroix (1830)

Cette Révolution donne un grand élan d’espoir de liberté chez les artistes, qui pensent enfin pouvoir parler de tout. Pourtant, les libertés promises ne sont pas toutes mises en application et la jeunesse se sent abandonnée. Les années 1830 sont aussi celles d’épidémies de choléra ravageuses pour les parisiens. Heureusement, la politique d’Haussmann améliorera l’hygiène dans la ville – n’hésitez pas à lire mon article sur le Paris d’Haussmann ici si vous voulez en savoir plus.

C’est aussi à cette époque que les arrondissements 12 à 20 sont créés et les artistes pauvres s’y exilent. Malgré l’image romantique qu’on peut avoir de Montmartre aujourd’hui, y vivre au 19e siècle n’est pas une sinécure ! C’est très mal famé, très sale, et les artistes en partent dès qu’ils commencent à avoir du succès. Les générations d’artistes s’y succèdent donc : d’abord les Impressionnistes Monet, Renoir ou Cézanne dans les années 1860, puis Van Gogh et Gauguin dans les années 1880, et enfin Picasso ou Braque vers 1900.

Il faut donc garder en tête que vivre la bohème, c’est mettre sa vie en danger au nom de la liberté de création. Pour quelques génies reconnus par l’Histoire, combien d’artistes talentueux sont morts de maladie, de froid ou de faim dans ces taudis ?

La balade commence devant le Moulin de la Galette, l’une des guinguettes les plus célèbres. Ce type de grands cafés deviennent importants pour rencontrer de potentiels acheteurs, à une époque où les mécènes cessent de « donner salon » chez eux.

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Le Moulin de la Galette, 2 rue Girardon

En commençant à marcher, nous passons sur la place Marcel Aymé, où se trouve la statue d’un passe-muraille ! Très surprenante, elle fait référence au personnage de l’une des nouvelles de Marcel Aymé qui se passent dans le quartier.

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Le Passe-Muraille, héros de Marcel Aymé

Une rapide traversée du square Suzanne Buisson nous apprend qu’il est nommé d’après une militante féministe communiste et résistante, disparue après avoir été arrêtée par la Gestapo. Une véritable héroïne qu’il serait injuste d’oublier !

Le square abrite également la statue de Saint-Denis, qui aurait été décapité ici. La légende veut qu’il se soit relevé et qu’il ait marché jusqu’à la plaine Saint-Denis avec sa tête dans les bras… Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour être sanctifié !

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Statue de Saint-Denis dans le square Suzanne Buisson

La balade se poursuit dans une petite allée entourée de verdure, havre de paix insoupçonné qui abrite de belles maisons anciennes comme « Le Château des Brouillards ». Cette maison au nom si poétique était la maison de campagne d’un riche avocat, qu’il doit abandonner au moment de la Révolution. Il sera plus tard utilisé comme squat par des artistes comme Gérard de Nerval ou encore Renoir ! Après avoir failli être rasé, il est racheté en 1912 par un notaire qui le modernise. Aujourd’hui pour y habiter, il vaut mieux avoir quelques millions à débourser !

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Le Château des Brouillards

L’allée débouche sur la place Dalida, avec une très belle vue sur la rue de l’Abreuvoir, la plus filmée de Paris ! On la voit par exemple dans Paris je t’aime de Woody Allen. Elle alimente la vision cliché que les étrangers ont de Paris, qui croient que toute la ville lui ressemble. Elle contribuerait au développement du très sérieux « Syndrome de Paris » dont souffrent les Japonais qui avaient le rêve absolu de voir Paris mais qui sont déçus. A leur retour, ils tombent dans de véritables crises de dépression… Difficile à croire mais véridique !

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Vue sur la rue de l’Abreuvoir
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Il paraît que toucher les seins du buste de Dalida porte bonheur… D’où leur usure !

Nous marchons ensuite jusqu’au Lapin Agile, cabaret célèbre où Picasso se rendait fréquemment. C’est là que l’Arlequin au verre est assis, avec le père Frédé, propriétaire du café, qui joue de la musique au fond. S’y retrouvent également les artistes du mouvement « Zut » aujourd’hui oubliés. Sachant que « Zut » était à l’époque un gros mot, leur objectif était tout simplement de dire « Zut » à l’Académie officielle et à ses règles insupportables !

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Au Lapin Agile
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Arlequin au verre, Picasso (1905)

L’émergence de ce type de mouvement est en lien avec un véritable changement du statut de l’artiste. En effet avant la Révolution, les artistes étaient organisés en corporations et devaient ouvrir ou racheter un atelier pour très cher (un peu comme les pharmaciens rachètent leur officine). Ils étaient donc soumis au bon vouloir de leurs commanditaires pour pouvoir rentrer dans leurs frais.

Mais avec la fin des corporations, de nouveaux lieux de formation se développent : l’Ecole des Beaux-Arts et surtout d’autres Académies moins contrôlées, où s’opère le véritable renouveau artistique. Le rapport offre / demande s’inverse alors : le peintre suit enfin son ressenti et ne cherche un acheteur qu’après avoir réalisé son tableau. C’est la naissance du marché de l’art tel que nous le connaissons !

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Le magasin Zut ! rue Ravignan, en référence au mouvement artistique du même nom !

Juste à côté, nous passons devant un champ de vignes. Avant Montmartre en était recouvert ! En effet, au 18e siècle Paris était entouré du « mur des Fermiers généraux » : dès qu’une marchandise le traversait pour rentrer dans la ville, elle était taxée. Or Montmartre était à l’extérieur de Paris : on pouvait y boire pour pas cher ! Mais attention, le vin de Montmartre était réputé pour être une vraie piquette ! Face à la disparition de la vigne au cours du temps, le champ d’aujourd’hui a été replanté en 1933.

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Les vignes de Montmartre

Si vous n’aimez pas la foule, faites comme nous et contournez la place du Tertre ultra-touristique. Le musée de Montmartre vaut par contre le coup, notamment son petit jardin calme. Nous poursuivons ensuite jusqu’à ce qu’il reste du Bateau-Lavoir, l’atelier de Picasso. Malheureusement victime d’un incendie dans les années 70, ce lieu avait pour devise « au rendez-vous des poètes » et l’on pouvait y croiser Apollinaire ou Max Jacob.

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L’arrière du Bateau-Lavoir donne une idée de ce à quoi il ressemblait à l’époque

C’est ici qu’un Picasso aux origines bourgeoises décide de s’installer à son arrivée d’Espagne. L’atelier verra se succéder la période bleue, suite à la mort de Casagémas, le grand ami de l’artiste, puis la période rose au moment de sa rencontre avec Fernande Olivier. C’est aussi ici que les Stein, grands collectionneurs américains, viennent rencontrer Picasso. En vrai connaisseur, il aura suffi à Leo Stein de découvrir un tableau de Picasso dans une galerie du coin pour le déclarer « le plus grand dessinateur de notre époque ». Et surtout, c’est au Bateau-Lavoir que naissent les Demoiselles d’Avignon, en réponse au Nu bleu, souvenir de Biskra de Matisse.

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La très belle fontaine de la place où se trouve l’entrée du Bateau-Lavoir

En redescendant, nous revenons sur les traces de la Commune de Paris de 1871. Alors que la France est en guerre contre la Prusse, Napoléon III s’exile et le gouvernement provisoire ordonne aux parisiens d’ouvrir les portes de la ville à l’ennemi. La population refuse, réactive la Garde Nationale et monte des barricades. Ceux qu’on appelle les Communards résisteront à 6 mois de guerre civile, avant que le gouvernement retranché à Versailles ne réussisse à reprendre la ville.

L’Eglise Saint-Jean de Montmartre sera alors construite à partir de 1873 pour expier les péchés des Communards. Son architecte Anatole de Baudot, élève de Viollet-le-Duc, en fait l’un des premiers bâtiments modernes avec une façade en ciment apparent (elle est aujourd’hui recouverte de céramiques). C’est ici que s’achève la balade !

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L’Eglise Saint-Jean de Montmartre

J’ai trouvé vraiment passionnante cette plongée dans le Montmartre ancien, qui permet de mieux comprendre l’histoire d’un quartier où se rassemblent tous les arts (peinture, théâtre, danse, architecture…) dans un véritable foisonnement artistique ! Il nous faut vraiment admirer le courage de ces artistes prêts à vivre dans des conditions souvent abominables au nom de leur art, pour bénéficier de cette émulation créative.

Le contraste avec le Montmartre d’aujourd’hui est extrêmement frappant : alors qu’au 19e siècle ce sont les plus pauvres qui montent sur la Butte, ce sont aujourd’hui parmi les plus riches qui y vivent ! En moins d’un siècle, les façons de vivre ont considérablement changé. Et malgré tout, au fil des paroles de la guide, l’âme du Montmartre d’avant revit sous nos yeux !

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La carte de la balade

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