Etre mobile ou immobile, telle est la question posée par les artistes aux Archives Nationales

Aux Archives Nationales, les artistes contemporains nous parlent de mobilité. Concept tellement central dans notre société qu’il en est devenu banal, et pourtant porteur de questions essentielles comme le rappelle l’exposition Mobile Immobile. La mobilité interroge nos modes de vie présents mais aussi l’histoire de notre modernité (comment notre société d’aujourd’hui s’est-elle construite ?) et surtout notre futur : comment les progrès technologiques dans le domaine des transports peuvent-ils se concilier avec les enjeux environnementaux auxquels nous faisons face ? Comment nous déplacerons-nous demain ?

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Projet Yi, de Wang Gongxin

Ces questions au coeur de toute réflexion politico-sociale sont renouvelées grâce à des regards artistiques singuliers. Les oeuvres sont essentiellement des photographies, des vidéos ou des installations, qui mêlent virtuosité plastique et techniques numériques toujours au service du propos de l’artiste. Ces projets engagés, réunis dans un parcours thématique à la scénographie très soignée, ont souvent une visée critique. Lanceurs d’alerte face aux dangers et aux injustices des civilisations modernes mais jamais culpabilisants, ils ouvrent un espace de confiance où un dialogue s’opère entre oeuvre et spectateur, puis d’un spectateur à l’autre.

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La déshumanisation des paysages selon Claire Chevrier

 

L’exposition commence sur le site des Archives à Paris et se prolonge sur le site de Pierrefitte-sur-Seine, mais je ne vous parlerai ici que du parcours parisien que j’ai visité.  L’exposition commence dès l’entrée dans l’Hôtel de Soubise, où les couples de colonnes du péristyle encadrant la cour alternent avec des photographies monumentales de foules grouillant dans les rues de Tokyo. Près de l’allée centrale menant au bâtiment principal, le spectateur attentif remarque l’installation étonnante d’Elinor Whidden : sa tente fabriquée à partir d’essuie-glasses usagés résonne comme une vision post-apocalyptique, où les vestiges d’une civilisation de la vitesse sont réduits à des matériaux de construction d’abris de fortune.

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Vue de l’Hôtel de Soubise

A l’intérieur du somptueux hôtel particulier qui vaut déjà le coup d’oeil, il faut gravir l’escalier monumental pour découvrir les premiers projets sur le thème de la mobilité liée au travail. Parfois voulue, souvent contrainte, cette mobilité n’est jamais neutre pour le quotidien de ceux qui la vivent et s’accompagne souvent de fortes difficultés économiques. Les photographies de Vincent Jarousseau sont des récits de vies de routiers ou d’ouvriers passant de chantier en chantier, émouvants sans céder à l’apitoiement.

Comment en est-on arrivé là ? Qui dit mobilité dit moyens de transport et vitesse. C’est l’arrivée du train, puis de la voiture et l’avion bien sûr, qui accélère nos modes de vie et transforme l’espace. Mais cette évolution ne suit pas le même rythme partout : le projet de Thomas Sauvin nous rappelle qu’en Chine, l’explosion économique a été bien plus fulgurante qu’en Europe. Les habitants sont partagés entre fierté face aux accomplissements technologiques de leur pays et nostalgie pour des traditions en voie de disparition. Paradoxalement, le gouvernement communiste incite les Chinois à l’immobilité et la problématique s’inverse : mobilité devient synonyme d’émancipation.

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Les archives collectées par Thomas Sauvin en Chine

Les effets de la mobilité se ressentent en tous cas dans tout l’espace urbain qui doit s’adapter. Si le plan d’urbanisme de Le Corbusier de 1922 (Plan Voisin) qui prévoyait des autoroutes dans Paris n’a pas été adopté (heureusement, diront beaucoup), le modèle des grands immeubles est devenu universel et tend à uniformiser les métropoles du monde. Le cinéma n’a pas oublié de raconter la ville moderne, entre fascination et danger, de la Metropolis de Fritz Lang à Bullitt ou Fast & Furious.

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Le Plan Voisin de Le Corbusier (1922)
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Le Plan Voisin matérialisé par Alain Bublex

Et pourtant, nous ne sommes pas tous égaux devant la mobilité : selon notre état de santé, notre nationalité ou notre statut social, nos déplacements seront facilités ou limités. Dès le Moyen-Âge, les noms des individus dangereux sont listés pour mieux les surveiller, plus tard ce sont dans des registres que les noms des personnes habilitées à voyager sont consignés, avant l’apparition des fiches puis des passeports… Le contrôle de la mobilité est un enjeu pour le pouvoir qui encadre et dirige les corps. La vidéo Human Flow d’Ai Weiwei expose l’importance des téléphones portables pour les réfugiés qui tentent d’échapper à ce contrôle : ils sont comme des lignes de vie leur permettant de garder un lien avec leur pays d’origine.

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Human Flow, de Ai Weiwei

D’autres projets artistiques nous parlent des mouvements de population entre espace urbain, péri-urbain et campagne. On peut partir de la ville à la recherche de davantage de nature ou d’espaces de liberté, ou au contraire quitter sa campagne natale pour aller travailler en ville. En Inde, ces mouvements entre ville et village favorisent les échanges économiques et religieux, mais risquent de produire des « identités diffractées » comme le rappelle Christophe Gay, co-directeur du Forum Vies Mobiles à l’initiative de l’exposition.

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Photographies d’Ishan Tankha

 

Mais le « retour à la nature » sera peut-être bientôt un impératif face au changement climatique. Les écologistes tirent la sonnette d’alarme depuis plus de 40 ans déjà, mais les innovations technologiques pour toujours plus de croissance continuent de dégrader l’environnement et l’habitat. La mobilité atteint sa limite lorsqu’elle devient une fin en soi : bouger pour bouger comme une fuite en avant qui perd son sens. Sylvie Bonnot documente son voyage en transsibérien comme une alternative en forme d’éloge de la lenteur.

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L’avenir se dessine donc entre deux directions irréconciliables, comme l’expriment les dystopies photographiques de Caroline Delmotte et Gildas Etevenard : continuer d’accélérer et risquer la catastrophe irréversible, ou ralentir en reconstruisant par exemple des espaces agricoles, des « bio-régions » durables. Les artistes participent à cette réflexion en esquissant des futurs possibles. Car l’exposition rappelle à quel point l’art peut jouer un rôle déterminant en éveillant les consciences et en usant de sa force créatrice pour faire émerger des voies nouvelles.

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Les « retables photographiques » de Caroline Delmotte et Gildas Etevenard

Informations pratiques

  • Exposition « Mobile Immobile » jusqu’au 29 avril 2019
  • Site de Paris : 60 rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris
  • Horaires : tous les jours sauf mardi, 10h-17h30 en semaine et 14h-17h30 le week-end
  • Tarif : 8€ plein, 5€ réduit

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