Madame Van Gogh au Studio Hébertot

Qui était vraiment Vincent Van Gogh ? Comment aller au-delà de l’image iconique du génie miséreux et tourmenté pour comprendre l’homme et saisir un peu de sa vérité ? C’est la question que pose la pièce Madame Van Gogh de Cliff Paillé, portée par un texte poétique et émouvant de sincérité. Sincérité de l’auteur, que l’on sent passionné par l’énigme insaisissable de Van Gogh et de la création elle-même : comment un homme, armé uniquement de ses couleurs et de ses pinceaux, réussit-il à faire surgir des oeuvres d’une puissance d’émotion si extraordinaire ?

Affiche Hébertot A5

C’est pourtant indirectement que Cliff Paillé tente de saisir l’objet de sa fascination. Madame Van Gogh invente un dialogue entre Johanna, la belle-soeur de Vincent, et Emile Bernard, l’un des amis de l’artiste et peintre lui-même. A la mort de son mari Théo, qui suit de peu celle de son frère suicidé, Johanna hérite de tous les tableaux de Vincent. Que faire de toutes ces oeuvres qui ne valent encore rien, Vincent n’ayant vendu qu’une seule oeuvre de son vivant ?

Madame Van Gogh entame une correspondance avec Emile Bernard, qui tente de la convaincre de la nécessité d’exposer les oeuvres. Et de le faire vite, vite, avant que Vincent ne soit oublié. Car malgré tous les revers subis, il commençait à se faire connaître juste avant sa mort, grâce à quelques critiques élogieux…. et ce serait un crime que de ne pas se battre pour révéler au public des peintures d’une intensité sans égale. Pour qu’elles deviennent éternelles. Certain du succès à venir, il use de toute son éloquence passionnée pour persuader Madame Van Gogh de lui prêter des oeuvres : il se chargera de les rendre célèbres. Johanna elle, ne veut pas se précipiter : est-ce vraiment ce qu’aurait voulu Vincent ? Elle préfère se plonger dans ses paquets de lettres intimes échangées avec Théo pour tenter de le comprendre.

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Ce qui commence par un simple échange épistolaire, où les deux comédiens parlent à tour de rôle, à coup de « Chère Johanna » et de ‘Cher M. Bernard », s’émancipe vite pour se transformer en une conversation tantôt emballée jusqu’à la fièvre, tantôt rationnelle et presque philosophique. Les rôles semblent établis dès le départ : Johanna, plutôt froide et distante, n’avait pas de véritable affection pour son beau-frère. Elle se veut méthodique : l’étude des lettres doit lui permettre de prendre une décision fondée sur l’avenir des oeuvres. Des oeuvres qu’Emile est prêt à tout pour faire connaître : il nous emporte par sa verve exaltée, face à une Johanna hésitante et presque détachée.

Mais au fil de la pièce, les lignes se brouillent : Johanna se révèle hantée par le pouvoir de ses tableaux à mesure qu’elle les contemple. Eblouie par l’énergie de ces couleurs pures, par la liberté de cette touche d’où surgissent des soleils aveuglants, des constellations tourbillonnantes ou des branches tortueuses. Elle embarque Emile dans sa plongée à la rencontre des mots de l’artiste. Dans une scène à la fois touchante et drôle, elle lui lit des citations de ses lettres qu’il commente avec ironie ou admiration.

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Ce personnage d’Emile se révèle plus complexe que celui de l’artiste dévoué à sauver l’oeuvre de son ami. Il reconnaît volontiers qu’il n’était pas très proche de Vincent et à Johanna, qui l’accuse d’être intéressé aussi par sa propre gloire (être le découvreur de Van Gogh), il ne dit pas non. Il est tout prêt à exagérer la misère matérielle de l’artiste, pourtant soutenu jusqu’au bout par son frère, pour faire de lui un martyr, figure presque christique sacrifiée sur l’autel de l’art. Vincent ne dit-il pas lui-même dans l’une de ses lettres que s’il n’avait « pas fait de l’art », il aurait « pu faire de la vie » ? Il accuse même Johanna à demi-mots d’être responsable du suicide de son beau-frère : n’est-ce pas elle qui avait demandé à Théo de réduire les sommes qu’il lui envoyait, donnant alors à Vincent un sentiment à la fois de culpabilité et d’abandon ?

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A travers leur dialogue, un personnage se dessine. Cliff Paillé a fait beaucoup de recherches pour rester au plus près de l’Histoire (et la pièce a d’ailleurs reçu le chaleureux soutien de l’historien David Haziot, lauréat du Prix de l’Académie Française pour sa biographie Van Gogh aux éditions Gallimard). Mais la vie de Van Gogh comportant encore beaucoup d’inconnues, il avait toute la latitude pour exprimer sa liberté d’auteur.

Il choisit de poser des questions plus que de nous donner des réponses toutes faites, moins sur des épisodes célèbres de la vie de Vincent (s’est-il coupé l’oreille entière lors de cette fameuse crise de folie déclenchée par sa rupture avec Gauguin, ou seulement le lobe ?) que sur des drames moins connus. L’ombre de son frère (nommé Vincent comme lui) mort-né, un an jour pour jour avant sa propre naissance, explique t-elle son psychisme torturé ? On imagine le petit garçon, le jour de son anniversaire, accompagnant sa mère sur la tombe d’un autre Vincent Van Gogh… Et quelle sera l’influence de ce nom sur le troisième Vincent Van Gogh, le fils de Johanna et Théo ?

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A travers ses lettres, on découvre également la prescience incroyable de l’artiste : dès la fin des années 1870, avant même de commencer à peindre, Vincent avait senti quelque chose en lui qui attendait d’être exprimé. Après l’échec de sa première vocation de pasteur (on apprend qu’il allait jusqu’à descendre dans les boyaux les plus profonds pour prêcher auprès des mineurs !), il trouve dans l’art le moyen d’exprimer sa vision du monde si singulière.

Les débuts sont difficiles, Emile Bernard se rappelle comment il a été la risée des autres peintres pendant des années « à peindre croûte sur croûte ». Mais il était différent des autres : il n’a jamais cessé de chercher, jusqu’à en mourir. Comme le dit Emile, « il n’a pas trouvé les réponses, il a juste arrêté de se poser des questions ». Mais la tragédie est bien là : il n’a pas su voir qu’il était parvenu au sommet de son art. Il est comme un anti-Frenhofer, le peintre héros de la nouvelle Le chef-d’oeuvre inconnu de Balzac (1831) : Frenhofer est persuadé d’avoir réalisé le tableau absolu, alors que ses visiteurs ne voient qu’un amas de couleurs informes sur sa toile. Van Gogh, au contraire, a su capter la vie que le personnage de fiction cherchait si désespérément mais il ne s’en rend pas compte. Les deux hommes partagent pourtant cet aveuglement qui les conduira au suicide.

Vue scène

Portée par deux comédiens de grand talent, la pièce privilégie une mise en scène et un décor sobres car le texte se suffit presque à lui-même. L’amas de lettres au bord de la scène est comme un point d’ancrage auquel les personnages reviennent régulièrement comme la source de tout, et le matériel de peinture symbolise la présence surplombante de l’Art comme divinité à laquelle tout doit être sacrifié. Surtout, projetées sur le mur du fond, les oeuvres les plus emblématiques de Van Gogh irriguent la scène de leur pure énergie colorée : La nuit étoilée bien sûr, ou encore l’Amandier en fleurs réalisé en hommage au fils de Théo et Johanna. L’un des premiers arbre à refleurir au printemps devient le symbole de cette nouvelle vie, de ce troisième Vincent Van Gogh…

J’ai eu la grande chance d’assister à une avant-première de la pièce à l’Auberge Ravoux d’Auvers-sur-Oise, où Van Gogh a passé les deux dernières années de sa vie et où il s’est éteint (je vous en ai déjà parlé l’année dernière lors de ma découverte de ce si charmant village). L’atmosphère y était bien sûr encore plus particulière… La visite de ce lieu en vaut vraiment la peine !

Auberge
Vue de l’auberge Ravoux à Auvers-sur-Oise

Je terminerai par quelques mots de la très belle chanson Vincent (Starry, Starry Night) de Don McLean (qu’il a d’ailleurs récemment réinterprétée dans le musée Van Gogh d’Amsterdam), qui m’a accompagnée dans la rédaction de cet article :

Starry, starry night
Flaming flowers that brightly blaze
Swirling clouds in violet haze
Morning fields of amber grain
Weathered faces lined in pain
Are soothed beneath the artist’s loving hand

 

Nuit étoilée, étoilée
Fleurs ardentes qui flamboient
Nuages tourbillonnants dans la brume violette
Champs du matin au grain ambré
Visage altérés, marqués par la douleur
Sont apaisés sous la main aimante de l’artiste

 

Informations pratiques

Madame Van Gogh de Cliffé Paillé
Studio Hébertot – 78 bis boulevard des Batignolles, Paris 17e 
Du 13 octobre au 16 décembre 2019
Tous les dimanches à 19h30 et les lundis à 19h

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