Les visites de galeries d’art proposées par Des Mots et Des Arts sont décidément passionnantes ! J’ai participé hier au « Midi galerie » organisé par cette start-up : 1 heure avec un guide-conférencier dans l’une des plus grandes galeries parisiennes, pour découvrir l’oeuvre d’un artiste contemporain majeur.
La surprise est toujours au rendez-vous, avec des types d’oeuvres que l’on n’a pas l’habitude de voir (en tout cas pas au musée !), et surtout une mise en perspective grâce au contexte : qui est l’artiste, quel est son parcours et sa démarche artistique… ? Même si l’oeuvre réussit à nous toucher esthétiquement, visuellement, c’est aussi cette compréhension plus large du travail de l’artiste qui permet de l’apprécier pleinement.

Ce mois-ci, le rendez-vous était à la galerie Kamel Mennour, 47 rue Saint-André des Arts à Paris 6e. C’est l’une des galeries parisiennes les plus prestigieuses, présente aussi rue du Pont de Lodi (juste à côté de la première), avenue Matignon et à Londres. Kamel Mennour représente beaucoup des plus grands noms de l’art contemporain : Anish Kapoor, Daniel Buren, Claude Levêque ou encore François Morellet.
La galerie présente en ce moment une exposition de l’artiste japonais Tadashi Kawamata. J’ai été surprise dès mon entrée par son immense installation (intitulée « Nest », Nid) qui recouvre les murs des 3 salles de la galerie, comme une sorte de lierre envahissant, de ruche gigantesque, de toile d’araignée démesurée.
Le visiteur est invité à entrer dans l’oeuvre, à s’y promener. J’étais comme une gamine ébahie à l’intérieur ! Surtout qu’en m’approchant, j’ai compris que l’oeuvre était entièrement composée de… baguettes en bois de restaurant asiatique ! Vous savez ces baguettes jetables fournies par paire, qu’il faut séparer en cassant l’extrémité qui les relie. Kawamata a utilisé plus de 10.000 de ces baguettes, fixées les unes aux autres par de fins fils de plastique. Le résultat est extrêmement impressionnant !
L’oeuvre semble si fragile quand on comprend sa structure, et pourtant elle est comme une forme organique « inarrêtable » qui prend énergiquement possession de l’espace. Cette oeuvre est d’ailleurs complètement représentative de l’oeuvre de Kawamata, qui ne réalise que des installations in situ, prenant en compte la configuration du lieu. Il utilise systématiquement des éléments très simples et légers, souvent en bois.
Mais qui est Kawamata, et pourquoi réaliste t-il des installations de ce type ? Ce Japonais né dans les années 50 vient d’Hokkaido, l’île la plus au Nord du Japon qui est restée assez traditionnelle et naturelle (une grande partie de son territoire est encore recouverte de forêts) : l’artiste sera marqué par cette dimension de nature prédominante. Etudiant aux Beaux-Arts de Tokyo, il s’intéresse aussi à la façon dont le parcours de notre corps est modifié par l’oeuvre d’art. On le voit bien avec cette installation qui nous oblige à nous pencher, à marcher dans différentes directions pour suivre ses contours.

Quand il grandit au Japon, Kawamata voit les effets de la grande prospérité économique du pays pendant les années 70 : des immeubles sont détruits et d’autres sortent de terre à une vitesse incroyable. C’est peut-être ce qui l’a influencé pour réaliser des oeuvres qui colonisent l’espace, l’envahissent et poussent le spectateur à regarder différemment les lieux qui l’entourent. Tout comme les anciens bâtiments japonais souvent détruits puis reconstruits (le Japon, perché sur une faille sismique, est soumis à des catastrophes naturelles régulières), il utilise le bois mais aussi d’autres matériaux de récupération, voués à la destruction.

Beaucoup de ses oeuvres sont vouées à habiller l’espace public : la façade du Centre Pompidou, le parc de la Villette, ou encore devant le centre d’art contemporain de Versailles. On trouve tour à tour des cabanes aériennes, des favelas illégales, des oeuvres qui recouvrent un lieu…


Mais ce qui est particulièrement intéressant avec Kawamata, c’est qu’il cherche à produire des oeuvres collectives, sous forme de « workshops », d’ateliers ouverts. Chez Kamel Mennour, il a réalisé son projet d’abord théorique avec l’aide de ses étudiants des Beaux-Arts de Paris. Mais il va parfois plus loin, en ouvrant ses workshops au grand public (comme à la Villette).
Et ce n’est pas lui qui dit ce qu’il faut faire ! Après quelques jours de discussions et débats, l’oeuvre est réalisée de façon collaborative, sans hiérarchie « maître »-« élèves ». L’idée de l’artiste, au-delà du résultat qui étonnamment est toujours impressionnant, est de favoriser le partage, de faire se rencontrer des personnes qui ne se mélangent pas dans leur quotidien. Il va en effet jusqu’à faire participer à ses oeuvres des patients d’hôpitaux psychiatriques, ou encore des prisonniers.

Il y a donc l’idée de remettre de l’humanité, de la nature, de la collaboration dans l’espace public grâce à des oeuvres d’art totales, entre sculpture et architecture. Cette démarche soulève beaucoup de questions : qu’est-ce qu’une oeuvre ? Qu’est-ce que c’est qu’être artiste ? Comment doit-on faire des oeuvres ?… Pour Kawamata, l’une des réponses est le concept d’oeuvre « passerelle », pont entre l’espace du spectateur et l’espace de l’oeuvre. Ainsi la galerie ne doit pas être un lieu fermé, elle doit être en continuité avec l’espace public de la rue. C’est pourquoi l’artiste a aussi installé une oeuvre « miniature » dans la rue Saint-André des Arts elle-même : saurez-vous la retrouver ? Un indice ci-dessous…
Kawamata refuse donc les définitions toutes faites, pour lui il n’y a pas de limite à l’art. Il n’hésite pas à être parfois dans l’illégalité (comme avec ses cabanes installées dans un camp de réfugiés), ou encore à utiliser les matériaux de rebut de la société, ceux qu’on laisse de côté, qu’on jette après usage. Et tant pis si ses oeuvres ne sont qu’éphémères, l’important pour lui est de profiter de la vie dans l’instant, d’admirer la beauté des choses qui ne durent pas. Ainsi en cherchant son oeuvre dans la rue par exemple, vous levez la tête, vous voyez des choses que vous ne regardez pas habituellement, vous profitez de l’instant de façon différente.

En véritable activiste, c’est donc par des oeuvres invasives, qui prennent possession de l’espace avec des formes naturelles, que Kawamata cherche à changer notre regard sur le monde qui nous entoure. Avec lui le matériau jeté redevient beau, l’espace ordonné devient chaotique. Notre regard évolue, on se sent à la fois submergé et subjugué.
Participer à l’un de ses workshops doit être une expérience assez incroyable, je ne manquerai pas de le suivre et de vous prévenir s’il y en a un à Paris ! En attendant, il ne reste malheureusement que quelques jours pour découvrir son oeuvre « Nest » à la galerie Kamel Mennour, jusqu’à samedi 27 janvier 2018.

2 réflexions sur “En immersion dans l’installation de Tadashi Kawamata à la galerie Kamel Mennour”