La culture des aborigènes d’Australie est plutôt difficile à appréhender pour un voyageur de passage dans le pays. Décimés par l’arrivée des Européens à la fin du 18e siècle, qui les ont parqués dans des réserves, réduits en esclavage et considérés comme faisant partie de « la faune et la flore » (!!), ils ne représentent plus que 3% de la population.
A l’origine présents sur l’ensemble du territoire, une grande partie des aborigènes se concentre aujourd’hui dans le Centre Nord du pays (ils représentent 30% de la population de l’Etat « Territoire du Nord »), et plus particulièrement dans le désert rouge. Certaines communautés vivent toujours à l’écart des villes, près du rocher sacré d’Uluru (appelé Ayers Rock par les Britanniques), d’autres ont rejoint Alice Springs, la principale agglomération du désert.
La plupart des aborigènes que j’ai croisés dans les rues étaient dans une situation déplorable : ils errent dans la rue, le regard perdu, en proie à l’alcool ou à la drogue… Ces substances importées par les Européens ont été un véritable fléau pour des populations brutalement envahies, perdant soudainement le contrôle de leurs terres et de leur destin. Je vous recommande le dernier épisode de l’émission Rendez-vous en terre inconnue diffusé récemment (sur France 2), qui montre bien le désespoir qui règne dans ces communautés, mais aussi l’espoir et l’énergie déployée par beaucoup pour s’en sortir.

D’ailleurs fort heureusement, certains aborigènes ont réussi à s’adapter, sans pour autant perdre leurs traditions ancestrales. Je vous parlerai plus loin de Faith, qui a été mon guide lors d’un tour du quartier de The Rocks à Sydney, et qui consacre son temps à partager les valeurs et les coutumes de sa communauté avec les visiteurs.

Mais pour comprendre les aborigènes, il faut d’abord s’intéresser à leur complexe système de croyances, à commencer par le Tjukurpa ou Dreamtime, le « Temps du rêve ». Entre philosophie, métaphysique et mythologie, cette vision du monde et les histoires qui lui sont associées ne sont pas évidentes à appréhender… Je vais vous faire partager ce que j’ai compris et retenu, en espérant réussir à transmettre une partie de cette pensée unique au monde !
Le Temps du rêve, une pensée du monde
Au coeur du système utilisé par les aborigènes pour penser le monde, il y a le fameux Dreamtime. Ce « Temps du rêve » remonte à l’avant création du monde, c’est une ère peuplée d’ancêtres mythologiques. Mais ce n’est pourtant pas un temps passé, plutôt une dimension parallèle à la nôtre qui peut être accessible dans certaines circonstances. Il est ainsi possible de communiquer avec l’esprit des ancêtres de sa tribu. Ces ancêtres sont des êtres surnaturels, à demi hommes et à demi animaux. Par exemple dans la région d’Uluru, le peuple Anangu rend hommage à Kinuya, la femme python qui a affronté le serpent maléfique Liru pendant le Dreamtime.
Selon les aborigènes, ce sont ces créatures mythiques qui ont créé le monde. Ils ont façonné tout le paysage naturel et y ont laissé des traces encore visibles aujourd’hui. Les Anangu racontent la légende de la disparition de leurs ancêtres Malas (wallabies) : alors qu’ils avaient initié un rituel sacré, une autre tribu les a invité à partager l’une de leurs cérémonies. Les Malas ont dû refuser, car leur rituel ne pouvait être interrompu. Excédée par cet affront, la tribu offensée a alors envoyé une troupe de chiens monstrueux pour tuer les Malas.


Si vous suivez le Mala track près du rocher Uluru lors de la balade (gratuite) guidée avec un ranger du parc national, il vous montrera les traces laissées par les hommes Malas dans la paroi des grottes où ils réalisaient leur rituel. Pendant des siècles jusqu’à aujourd’hui, les grottes d’Uluru ont d’ailleurs été utilisées comme lieu d’initiation des jeunes hommes aborigènes. D’autres sont réservées aux activités sacrées des femmes.
Et si vous voyez des trous épars creusés dans le rocher, sachez que ce sont les impacts des flèches et des lances projetées lors des combats épiques entre créatures du Dreamtime, dont l’esprit abrite toujours cette terre… C’est bien pour cela que les aborigènes demandent aux autorités d’interdire la montée sur le rocher : le sentier qui mène au sommet traverse des sites sacrés. Il se murmure d’ailleurs que les accidents qui touchent régulièrement les grimpeurs seraient causés par des esprits en colère…

Ces histoires sont bien plus que des mythes : elles servent de moyen de transmission des règles, des lois et de la philosophie des aborigènes de génération en génération. Elles sont aussi le principal sujet des oeuvres d’art aborigènes dont je vous parlerai dans un prochain article !

Coutumes et traditions aborigènes d’hier à aujourd’hui
Pour mieux comprendre ce qui signifie être aborigène aujourd’hui, j’ai suivi le Dreaming Aboriginal Heritage Tour du quartier The Rocks à Sydney. Il est organisé par une petite entreprise possédée par des femmes aborigènes ayant à coeur de faire partager leur héritage culturel. Le quartier de The Rocks est le plus ancien de Sydney et tire son nom de la pierre locale « sandstone » (proche du grès) utilisée pour construire les premiers bâtiments de la ville. C’est également un lieu important pour les aborigènes : ils y vivaient en harmonie avec la nature avant que les Européens ne débarquent dans la baie.

Notre guide Faith nous a conduits au fil de ses ruelles et de ses petites places, tout en nous expliquant les liens très particuliers qui unissent son peuple à la nature. Leur rapport à la terre est très fort : pour le matérialiser et nous souhaiter la bienvenue dans ces lieux, Faith a appliqué sur le poignet de chacun un peu de terre « Ochre ». Notre connexion à la terre-mère assurée, nous avons pu apprendre que les couleurs de la nature, l’ocre bien sûr mais aussi le jaune ou le rouge, sont sacrées pour les aborigènes.
Mais c’est surtout le lien entre les aborigènes et les arbres et les plantes qui m’a frappée. Ces éléments naturels sont une source de connaissances ancestrales qu’il faut absolument sauvegarder car elles peuvent assurer la survie de l’homme. Un aborigène sait repérer la plante dont les feuilles peuvent tour à tour être mâchées pour se rafraîchir, ou être tressées pour confectionner une corbeille ou un sac. Il connaît aussi cette autre plante à la sève sucrée et délicieuse… Mais celle qu’il connaît par-dessus tout est la plante-totem qui lui est attribuée dès sa naissance. Etre dépositaire de cette connaissance est une grande responsabilité pour l’enfant aborigène, car dans ce totem s’exprime la force d’un ancêtre-esprit de la tribu.
Les aborigènes ont ainsi réussi à préserver au fil du temps leur système de pensée complexe. C’est à la fois un système de formation de l’univers, une spiritualité, une philosophie et de règles de vie en communauté. A la différence d’une mythologie « classique », ces croyances sont encore vivaces aujourd’hui. Et si les histoires et les ancêtres sont propres à chaque tribu, les principes du Dreamtime unifient cette culture singulière.
Depuis que j’ai découvert sa force et sa profondeur, je trouve très injuste et tellement dommage que cette pensée reste méconnue. Nous aurions beaucoup à apprendre d’elle, je n’en ai eu moi-même qu’un petit aperçu. J’ai été très choquée d’apprendre que les aborigènes n’ont été reconnus comme citoyens australiens à part entière qu’en 1967 ! Les mentalités évoluent encore lentement à leur égard, mais on peut espérer que grâce à une reconnaissance officielle grandissante et au développement du tourisme, leur culture sera de plus en plus connue. J’espère y contribuer à ma petite mesure avec cet article !

Je suppose que vous avez entendu parler du livre de Marlo Morgan : « message des hommes vrais au monde mutant ». J’aimerais comprendre en quoi il est offensant pour les aborigènes. Je n’y ai vu que de belles valeurs et une grande intelligence. J’espère que vous pourrez m’éclairer. Merci.
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