L’art australien, de Melbourne à Sydney

Les Européens se sont installés en Australie à partir de la fin du 18e siècle, suite au débarquement de l’explorateur anglais James Cook sur la côte Est en 1770 (même si quelques contacts avaient eu lieu auparavant, notamment avec des marins hollandais). Sur ce pays-continent vivait déjà le peuple aborigène depuis plus de 50.000 ans – c’est l’une des cultures les plus anciennes du monde !

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Nathaniel Dance-Holland, James Cook (1776)

L’art australien a donc pris deux formes radicalement différentes. D’abord l’art d’inspiration européenne, dit « colonial » au 18e-19e siècle et qui évolue vers un art moderne inspiré de l’impressionnisme, du cubisme ou du surréalisme, jusqu’à un art contemporain multiformes.

Parallèlement, les aborigènes pratiquent depuis des millénaires un art corporel (ils se peignent le corps de symboles lors de rituels traditionnels) ou tracent des symboles dans la nature. Ce n’est qu’à partir des années 1930 que certains aborigènes commencent à peindre sur des supports modernes et à développer une forme d’art unique dans le monde.

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Tom Roberts, The artist’s camp (1886) – Melbourne Gallery : inspiré par les Impressionnistes, l’artiste a monté sa tente pour travailler en plein air dans le bush

Pour aujourd’hui, je vais vous parler de la première forme d’art, particulièrement l’art « colonial » de ces premiers habitants débarqués d’Europe sur une nouvelle terre, à la fois pleine d’opportunités mais parfois hostile et dangereuse. Je n’oublie pas l’art aborigène bien sûr, qui sera à l’honneur dans un prochain article !

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Eugene Von Guerard, Sydney Heads (1865) – Sydney Gallery

L’art australien du 18e siècle à nos jours est bien sûr représenté dans toutes les grandes villes du pays, mais j’ai pu le découvrir surtout à Melbourne (à la National Gallery of Victoria) et à Sydney (à l’Art Gallery of New South Wales). Ces deux villes sont particulièrement importantes pour l’histoire coloniale du pays : c’est dans la baie de Sydney que se sont installés les premiers colons. Quant à Melbourne, elle attirait comme un aimant les chercheurs d’or en quête du précieux métal enfoui dans son sol !

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Façade de l’Art Gallery of New South Wales à Sydney
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Walter Withers, Seeking for gold – cradling (1893) – Sydney Gallery

Si l’art de cette période n’est pas le plus innovant et s’éloigne peu de ses racines européennes, j’ai trouvé passionnant de pouvoir grâce à lui mieux comprendre les origines du pays tel qu’on le connaît aujourd’hui : l’arrivée des colons, leur mode de vie et leurs difficultés pour s’adapter dans un environnement sauvage… Cette vision reste partielle si on n’aborde pas le point de vue des aborigènes en complément et les exactions qu’ils ont subies, mais elle est essentielle pour comprendre le quotidien de milliers de familles « normales » n’ayant eu que peu de contacts avec eux.

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Elioth Gruner, Spring frost (1919) – Sydney Gallery

Les tous premiers colons n’étaient pas n’importe qui… Il s’agissait de détenus, libérés de leur prison européenne à condition de partir à l’autre bout du monde défricher de nouvelles terres ou construire des fermes. Une fois le terrain préparé, les colons « libres » ont suivi ! Pour leur donner envie, il était bien nécessaire de « marketer » un peu ce nouveau territoire. Car quitter sa patrie anglaise pour un voyage si lointain, avec un lieu encore sauvage et potentiellement hostile à l’arrivée, il fallait oser !

John Glover, un peintre anglais, a été l’un des premiers à idéaliser, à « romantiser » l’Australie dans ses oeuvres. Il peint ci-dessous des paysages de Tasmanie idyllique, à la végétation semblable à celle de l’Europe, où des indigènes bienheureux profitent de la nature. La réalité était toute autre : une végétation différente et des indigènes absents de cette partie de la Tasmanie.

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John Glover, The River Nile, Van Diemen’s land, from Mr Glover’s farm (1837) – Melbourne Gallery
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John Glover, Natives on the Ouse River, Van Diemen’s Land (1838) – Sydney Gallery

D’ailleurs quand Robert Dowling peint son Tasmanian aborigines en 1856, ils ne sont pas loin d’avoir disparu. Un autre tableau du musée de Melbourne représente d’ailleurs la dernière indigène « pure souche » de Tasmanie.

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Robert Dowling, Tasmanian Aborigines (1856-57) – Melbourne Gallery

Les aborigènes qui restent travaillent dans les fermes des colons ou s’occupent des enfants de la maison comme dans Masters George, William and Miss Harriet Ware and the Aborigine Jamie Ware, toujours de Robert Dowling. Car si les familles européennes recevaient de grandes portions de terre de la part du gouvernement, il fallait travailler dur pour les rendre cultivables. L’Autrichien Eugene Von Guerard représente ainsi Mr Clarke’s station, une grande propriété dont l’entretien nécessitait de nombreux travailleurs et devenue un véritable petit village avec son église.

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Robert Dowling, Masters George, William and Miss Harriet Ware and the Aborigine Jamie Ware (1856) – Melbourne Gallery
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Eugene Von Guerard, Mr Clarke’s station (1867) – Melbourne Gallery

Mais tous les colons n’avaient pas la chance de réussir aussi bien. Dans Shearing the rams ou The Golden Fleece, Tom Roberts montre la difficulté du métier de tondeur de moutons sous une chaleur étouffante, le dos courbé en permanence, à devoir faire preuve d’une grande habileté pour éviter de couper l’animal. Et la jeune femme présente au centre des tableaux (un peu plus à droite dans le deuxième) est là pour vérifier que le travail est bien fait ! Il est d’ailleurs surprenant qu’une femme soit acceptée dans ce lieu réservé aux hommes. Peut-être est-elle la fille du propriétaire de la ferme ?

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Tom Roberts, Shearing the rams (1890) – Melbourne Gallery

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Tom Roberts, The Golden Fleece (1894) – Sydney Gallery

S’aventurer sur des terres inexplorées pouvait aussi conduire à des drames terribles. Frederick McCubbin, né en Australie, peint à la manière impressionniste Lost, dans un paysage de bush. Il évoque ces colons qui se risquaient au-delà du terminus de la ligne de chemin de fer pour conquérir de nouvelles terres, mais dont les enfants se perdaient parfois dans le bush. Certains étaient retrouvés rapidement, d’autres revenaient après plusieurs jours, d’autres encore disparaissaient à jamais… Tragique histoire derrière le calme de ce paysage naturel !

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Frederick Mc Cubbin, Lost (1886) – Melbourne Gallery 

Mais McCubbin célèbre aussi le courage de ces habitants qui réussissent à force de persévérance dans le plus optimiste The Pioneer. Le triptyque montre les étapes de conquête de la terre par un couple de colons : la détresse d’abord face à l’ampleur de la tâche, puis le travail en marche avec l’ouverture de la clairière, la construction de la maison et la naissance d’un bébé pour l’habiter. Dans la troisième peinture, le bébé est devenu un jeune homme, représenté devant une ville allégorique qui célèbre le progrès rendu possible par de courageux colons. Une autre de ses oeuvres, On the wallaby track, montre une nouvelle scène de la vie de ces colons.

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Frederick Mc Cubbin, The Pioneer (1904) – Melbourne Gallery
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Frederick Mc Cubbin, On the wallaby track (1896) – Sydney Gallery

La ville en marche est d’ailleurs un thème récurrent chez les artistes. Swanston Street from the bridge de Henry Burn ou Melbourne de Henry Gritten sont des témoignages de la Melbourne des débuts, en plein boom grâce à la ruée vers l’or.

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Henry Burn, Swanston Street from the bridge (1861) – Melbourne Gallery

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Henry Gritten, Melbourne (1867) – Melbourne Gallery

Plus récemment, Grace Cossington Smith célèbre le pont de Sydney dans The Bridge in-curve. Elle le déforme et le pare de milliers de petites touches de couleurs inventées pour le rendre encore plus impressionnant et vibrant.

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Grace Cossington Smith, The bridge in-curve (1930) – Melbourne Gallery

Les belles Galleries de Melbourne et Sydney n’oublient pas la sculpture, en exposant le travail de l’artiste australien majeur Bertram Mckennal. Il est le premier artiste australien à avoir été anobli par le roi d’Angleterre ! Son War memorial for Eton college est une métaphore du jeune homme qui se sacrifie sans hésiter pour son pays. Mais sa Circe m’a encore plus marquée. Cette terrifiante magicienne de la mythologie grecque est en train de jeter un sort à de pauvres mortels qui l’ont mise en colère… Hypnotique !

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Bertram Mckennal, War memorial for Eton’s college (1923) – Melbourne Gallery
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Bertram Mckennal, Circe (1893) – Melbourne Gallery

Au 20e siècle, la peinture australienne continue de s’inspirer des grands courants européens. Frank Hinder capte les lumières de la ville dans le très cubiste Tram Kaleidoscope. Plus loin, dans Rhythmic composition in yellow green minor, Roy de Maistre cherche à associer musique et couleur dans une démarche qui rappelle celle de Kandinsky.

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Frank Hinder, Tram Kaleidoscope (1948) – Sydney Gallery

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Roy de Maistre, Rhythmic composition in yellow green minor (1919) – Sydney Gallery

N’oublions pas l’art contemporain : le musée de Sydney expose une gigantesque statue en acier représentant James Cook réalisée par le néo-zélandais Michael Parekowhai, comme une façon de revenir aux origines. Mais ce n’est plus le fier explorateur des débuts. Il a perdu son autorité, semble en proie au doute… Regrette t-il d’avoir passé toutes ces années loin de sa patrie ?

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Michael Parekowhai, The English Channel (2015) – Melbourne Gallery

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Michael Parekowhai, The English Channel (2015) – Melbourne Gallery

J’ai été étonnée de retrouver ici le travail de cet artiste, qui représente aussi des figurines de vigiles maoris pour dénoncer les clichés et la discrimination s’exerçant encore aujourd’hui sur les populations aborigènes. Vous le retrouverez dans mon article sur l’Art Gallery d’Auckland ici.

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Michael Parekowhai, Kapa Haka (maquettes) (2015) – Melbourne Gallery

N’hésitez donc pas à parcourir les Galleries de Melbourne et de Sydney si vous y passez. Une plongée dans les origines coloniales du pays, pour comprendre comment l’Australie est passée du bush à l’urbanisation et pour découvrir des artistes australiens majeurs. A bientôt pour de nouvelles aventures artistiques depuis l’autre bout du monde !

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