Attention, ce sont les DERNIERS JOURS de l’exposition Edme Bouchardon au Louvre ! Elle se termine lundi prochain, le 5 décembre.
Cette très belle exposition vaut vraiment le coup, pour au moins 5 bonnes raisons :
- Découvrir un artiste extrêmement apprécié à son époque pour sa virtuosité technique et sa capacité d’innovation
- Comprendre l’art néo-classique de la première moitié du 18e siècle grâce à cet exemple emblématique – notamment caractérisé par un retour à l’Antique
- Apprécier la polyvalence de Bouchardon à la fois sculpteur, dessinateur, illustrateur ou encore médailliste
- Contempler les magnifiques études corporelles sanguines (ces dessins au crayon rouge terre)
- Admirer le sublime L’Amour se faisant un arc de la massue d’Hercule, qui justifie à lui seul votre visite
Edme Bouchardon (1698-1762) est le fils d’un sculpteur installé près de Dijon. Son père décèle vite son talent de sculpteur et l’envoie se former à Paris. En 1722, Bouchardon gagne le prestigieux concours du prix de Rome, organisé par l’Académie de peinture et de sculpture. Il part alors à Rome pendant 9 ans (de 1723 à 1732), où il se forme d’après les modèles antiques et réalise de nombreuses copies des grands maîtres, notamment Raphaël.

L’exposition met l’accent avant tout sur le travail de dessinateur de Bouchardon. Ses premières sanguines témoignent de sa technique de jeunesse : des hachures très denses et croisées, qui donnent du relief au dessin. Plus tard, dans ses études de nus masculins (appelées « Académies »), il utilisera la pierre noire avec des rajouts de craie blanche pour marquer les volumes. Mais c’est autour des années 1740-50 que sa technique atteindra son apogée avec des contours marqués, qu’il parvient à réaliser avec des traits sans reprises.

Quand il rentre à Paris, Bouchardon respecte la tradition voulant que le lauréat du prix de Rome réalise une sculpture pour le roi, afin de prouver la virtuosité acquise lors de ses années d’apprentissage italiennes. Ce sera le magnifique Faune endormi, offert à Louis XV. Comme il lui est interdit de mouler le marbre antique originel, Bouchardon commence par modeler de ses propres mains une réplique en terre crue. Le résultat est une statue qui semble véritablement animée et vivante, avec un rendu de la musculature très réaliste. J’ai été vraiment impressionnée face à l’œuvre, car on est immédiatement troublé par la puissance dégagée par le corps massif du Faune.

En parallèle de ce travail « officiel », qui sera suivi d’autres commandes du Roi, Bouchardon réalise des commandes privées. Le buste du baron Philipp Von Stosch est un véritable chef-d’œuvre, et l’un des premiers portraits néo-classiques. Cet espion du roi d’Angleterre à Rome est figuré en héros antique, dans une posture inspirée d’un marbre représentant l’Empereur Trajan, avec une magnifique draperie sur l’épaule.
Mais le véritable coup d’éclat de Bouchardon est la commande – extrêmement rare – du portrait du pape Clément XII : un privilège incroyable ! Bouchardon reprend cette fois le modèle baroque du Bernin, immense artiste du 17e siècle surnommé « le second Michel-Ange ». Bouchardon y montre sa virtuosité par la brillance du vêtement, le détail des broderies, le réalisme du visage.

Pourtant, la plus grande innovation de l’artiste apparaît dans son Portrait du Marquis de Gouvernet : c’est un mélange étonnant entre un torse nu à l’antique et un visage réaliste. Bouchardon fait oublier le profil sans concession du marquis, au long nez, en attirant le regard sur la chevelure extrêmement travaillée, avec des mèches individualisées et des boucles torsadées.

Deux salles sont également consacrées au travail de médailliste de Bouchardon, qui dessinait des modèles de médailles ou de jetons, ainsi qu’à ses œuvres d’illustrateur de livres.
Mais j’ai passé plus de temps à regarder Les Cris de Paris, une série de gravures à l’eau forte tirées de dessin de Bouchardon. Elles représentent tous les petits métiers de rue : le tonnelier, la vendeuse de pommes, le porteur d’eau… Elles sont très originales et émouvantes car pas du tout « pittoresques » : au contraire, il se dégage une humanité, une dignité des personnages. On n’est pas dans le « plaisant », d’ailleurs les personnages sont souvent de dos, et ceux qui nous regardent ont le visage très fermé. L’artiste montre ici son profond respect pour ces personnages ambulants et une volonté de les anoblir.

Bouchardon a aussi reçu des commandes monumentales d’institutions officielles, comme la majestueuse Fontaine de Grenelle commandée par la Ville de Paris. Celle-ci est figurée comme une allégorie de femme au centre, entourée par deux fleuves : la Seine masculin et la Marne féminin. Dans les ailes du monument sont représentés les génies des saisons, avec en-dessous des bas-reliefs d’allégories d’enfants (représentant également les saisons). N’hésitez pas à aller la voir en vrai rue de Grenelle !

Plus tard, Bouchardon recevra également la commande de la monumentale statue à cheval de Louis XV, dont on peut voir des études et maquettes dans l’exposition. Une véritable statue de propagande, que Bouchardon ne pourra malheureusement pas achever avant de mourir.

Mais Bouchardon s’intéresse aussi beaucoup à des sujets « profanes », surtout mythologiques ou littéraires. 2 dessins sont particulièrement spectaculaires, avec une technique virtuose : Les Fêtes de Palès et Les Fêtes Lupercales. Le sujet est tiré des Fastes d’Ovide : un thème rare et érudit. Pourtant, ces dessins ont eu un tel succès qu’ils ont été diffusés dans des dizaines d’exemplaires sous la forme de gravures. Et surtout, ils marquent un vrai renouveau du Salon (cette grande exposition officielle qui présentait les œuvres sélectionnées par le jury de l’Académie) : pour la première fois, des dessins y sont présentés ! Et surtout des dessins qui sont « une fin en soi », et non un travail préparatoire à une sculpture ou à une peinture ! Une avancée majeure dans l’affirmation du dessin comme genre artistique à part entière.

Après avoir admiré les impressionnantes statues de l’Eglise Saint-Sulpice, le Jésus-Christ appuyé sur la croix et La Vierge de Douleur, je vois enfin l’œuvre que j’attendais depuis le début de ma visite…
C’est en effet vers la fin de l’exposition qu’est exposé le chef-d’œuvre ultime de Bouchardon, qui est je crois l’une des plus belles sculptures que j’ai pu voir dans ma vie : L’Amour se faisant un arc avec la massue d’Hercule. La prouesse tient d’abord au mélange incroyable de textures : les cheveux lisses de l’Amour, sa peau tendre, les plumes duveteuses des ailes, la masse velue de la peau de lion, les copeaux de bois, la fine corde sur le socle… Mais c’est surtout l’expression à la fois douce et pleine d’humour de l’Amour qui retient le regard. On tourne autour, on le regarde sous tous les angles, on ne peut s’en détacher… La légèreté qui s’en dégage, sa grâce incroyable, sa finesse sont frappantes. Une impression de douceur de la peau aussi, on a envie de toucher le marbre pour sentir la vie sous ses doigts.


Courrez ce week-end au Louvre pour admirer ces œuvres avant la fermeture de l’exposition ! Vous découvrirez l’évolution de l’importance du dessin pour l’artiste : copie des antiques, études académiques, esquisses préparatoires et enfin oeuvre à part entière. Vous pourrez également contempler de magnifiques sculptures éblouissantes de virtuosité. Et plus généralement, vous garderez sûrement l’image d’un artiste complet, aux multiples talents, qui malgré son statut d’artiste « officiel » a su exprimer sa personnalité et son regard propre dans ses œuvres.
Une réflexion sur “Formidable exposition Bouchardon au Louvre”