Batia Suter détourne les images au BAL

J’ai eu la chance de découvrir en avant-première l’exposition Radial Grammar de Batia Suter, en présence de l’artiste. Elle fait partie de la programmation de la Semaine Oh ! Pays-Bas, qui met à l’honneur les arts néerlandais sous toutes leurs formes du 19 au 24 juin 2018. Le projet de Batia Suter est présenté au BAL, lieu d’art contemporain niché dans une petite impasse près de la Place de Clichy. Le lieu est charmant : on est accueilli dans un petit café dans la verdure, avant de découvrir deux vastes espaces au rez-de-chaussée et en sous-sol.

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Entrée du BAL

Batia Suter est une artiste suisse, formée aux Beaux-Arts de Zurich et basée à Amsterdam. Elle est d’abord connue pour ses livres d’artistes Parallel Encyclopedia I (2007) puis Parallel Encyclopedia II (2016). Elle est également spécialiste des installations in situ, où elle peut investir un lieu et le transformer au gré de ses œuvres. C’est exactement ce qu’elle fait au BAL : l’exposition commence dès l’entrée dans l’Impasse de la Défense, se poursuit sur la façade du BAL et bien sûr à l’intérieur. L’artiste s’est inspirée de l’histoire du lieu, qui était une salle de bal populaire dans les années folles. Elle propose ainsi une iconographie autour des corps en mouvement, vibrants.

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Impasse de la Défense

La première salle nous dévoile trois murs tapissés de portraits imprimés en noir et blanc, comme un gigantesque flux d’images provenant de toutes les sources et de toutes les époques. Issues des archives, des livres ou des magazines accumulés par Batia Suter depuis plus de 20 ans, leur accumulation rappelle les procédés d’assemblage, ou encore le montage cinématographique. On reconnaît certains personnages, on recherche des connexions entre eux, on est troublé et un peu perdu.

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Comme les ready made de Duchamp, ces images sont complètement détournées de leur contexte originel et déplacées dans un nouvel environnement, sans indication de leur source ni référence. On trouve pêle-mêle un portrait hybride de Mao et Marilyn Monroe, des personnages de Fellini, Abraham Lincoln ou encore des œuvres du Louvre… Les beaux-arts et la culture populaire sont mélangés dans une déhiérarchisation complète, une mise à plat de la culture où tout semble se valoir.

L’artiste évoque ici notre addiction aux visages, qui envahissent Internet et les réseaux sociaux. Mais contrairement aux algorithmes qui créent des murs d’images sur Internet de façon mécanique, l’artiste se réapproprie le geste artistique. C’est un moyen de retrouver une forme de contrôle sur ces images, dans un monde où elles semblent bien souvent nous échapper. L’objectif est aussi de nous permettre une vision nouvelle de ces images culturelles, mille fois vues et donc plus vraiment regardées.

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Au centre de la pièce, une installation composée de boîtes de plastique surprend le visiteur. Ma première réaction a été de m’étonner de la beauté formelle de cet assemblage, pourtant composé d’emballages récupérés par l’artiste après consommation des produits. Simples objets utilitaires destinés à être jetés, ils ne témoignent pas moins d’une richesse de formes, de couleurs, de textures, et leurs aspérités accrochent la lumière. Leur assemblage évoque comme une ville, une nouvelle architecture graphique.

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Encore une fois, la démarche de Batia Suter est celle du détournement, de la réunion de choses qui n’ont pas été faites pour être ensemble mais qui, une fois associées, suscitent un questionnement. L’artiste redonne de la valeur à des produits de consommation, qui font aussi partie de notre culture.

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En descendant l’escalier, on débouche sur l’ancienne salle de bal. Encore une fois des images s’étalent sur trois murs. Il s’agit cette fois de fragments de corps, dont la vibration dans l’espace rappelle celle des corps qui autrefois dansaient ici. Ce lieu empli de la frénésie du mouvement est devenu un lieu calme et silencieux : les images de Batia Suter sont comme un pont entre ces deux espaces-temps, comme une tentative de comprendre ce qui s’est perdu entre les deux.

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L’artiste mélange images anciennes et images contemporaines, qui se heurtent en produisant un nouveau sens. Tout comme le bal permettait des rencontres singulières avec des inconnus, des images étrangères se percutent ou s’enlacent pour créer un récit, qui résonne différemment chez chaque spectateur.

Ces trois murs sont éclairés par la projection d’images de forme ronde sur le quatrième mur, succession infinie d’objets de toutes natures. Pourquoi cette rondeur tout à coup ? L’artiste explique que si l’image ronde peut paraître enfermée sur elle-même, elle représente aussi le tout, la matrice qui nous enserre et nous protège. On comprend l’adjectif « Radial » du titre de l’expo. Quant à la « Grammaire », c’est celle de la précision, la logique et l’orchestration presque mathématique de l’artiste dans le choix et le placement des images.

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L’image est encore une fois détournée, elle change d’échelle et devient presque sculpturale. Ce mode de lecture active notre pensée différemment des images « fixes » : une sorte de torpeur s’empare de nous, entre l’ennui et la fascination. L’artiste joue avec nous et nous immerge dans un état d’abandon et de rêverie.

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On est encore une fois troublés par cette remise à niveau de toutes les images, cette continuité au delà du sens, cette recherche de la forme pour la forme. Il y a aussi dans ce travail une recherche d’universalisme :  le corps de l’homme est replacé au milieu des choses, de l’univers.

Batia Suter nous propose donc une installation au sens ouvert et fluctuant. Elle crée une nouvelle histoire des formes en les déplaçant, en changeant leur contexte pour renouveler notre vision. Tout parle de regard au BAL : celui de l’artiste, qui suffit à produire de l’art sans objet matériel, et celui du spectateur qui redécouvre les images et y projette son interprétation personnelle. L’exposition est à découvrir au 6 Impasse de la Défense, dans le 18e à Paris, jusqu’au 26 août 2018.

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Mais la présence de Batia Suter à Paris ne s’arrête pas au BAL ! Elle est aussi exposée au Centre Culturel Suisse du 9 juin au 15 juillet, et sur le quai 24 de la Gare Montparnasse avec son installation Natural Grammar.

Retrouvez  aussi toute la programmation de la Semaine Oh ! Pays-Bas dédiée aux arts néerlandais du 19 au 24 juin 2018. Les événements sont nombreux et il y en a pour tous les goûts :

  • Cinéma : Rétrospective Cinéma néerlandais et révolution sexuelle à la Cinémathèque française du 6 au 27 juin
  • Musique : Fête de la musique le 21 juin sur les berges de Seine et à l’Atelier néerlandais – 121 rue de Lille, 75007 Paris
  • Art, Innovation et Design : Exposition Biotech numérique du 19 au 23 juin
  • Entre art et spectacle : Soirée PechaKucha le 20 juin à l’Atelier néerlandais – 12 représentations personnelles de créatifs de tous les arts, accompagnées d’animations et d’un cocktail

Pour retrouver toutes les informations détaillées et s’inscrire, c’est par ici !

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