Je vais vous parler aujourd’hui de 3 artistes européens majeurs qui ont vécu à la même époque : le Français Monet, le Norvégien Munch et le Suisse Hodler. Les associer permet de mieux comprendre les différents visages de l’art qui émergent dans les années 1870-1914 environ : il n’y a pas que l’Impressionnisme !
Monet (1840-1926), Hodler (1853-1918) et Munch (1863-1944) ne se sont jamais rencontrés et n’appartiennent pas au même mouvement artistique, et pourtant vous verrez qu’ils ont bien des points communs. Ils sont des chercheurs insatiables de la meilleure façon de représenter des moments, des éléments qui semblent impossibles à figer : la lumière aveuglante du soleil, les reflets de la neige sur l’eau, l’éclat des étoiles ou les ombres mouvantes… Ces expérimentations ont donné lieu à nombre de chefs-d’oeuvre.
Les trois artistes ont fait l’objet récemment d’une exposition au musée Marmottan-Monet. Ce très charmant musée est abrité dans l’ancien Pavillon de chasse du duc de Valmy, magnifique bâtiment vendu au grand collectionneur Jules Marmottan en 1882. Son fils Paul le léguera à l’Institut de France, qui le transformera en musée en 1934. Il a bénéficié de dons exceptionnels de collectionneurs au cours du temps : le plus important est bien sûr celui de Michel Monet, qui a offert au musée tout le fond de son père. Il devient du jour au lendemain le plus grand dépositaire de toiles de Monet du monde ! Même si l’expo est terminée, il vaut la peine de reparler de son approche originale de mise en regard de l’œuvre des trois artistes.

Même si les artistes ont vécu pendant une période de paix et de croissance économique exceptionnelle, leurs autoportraits ne sont pas toujours des plus gais. Claude Monet dans son atelier a été réalisé pendant les années de misère de Monet : choisir de rejeter les carcans académiques impliquait vraiment pour les artistes de mettre leur vie en danger !
Hodler a eu aussi son lot d’épreuves personnelles. Peu connu en France, il est très célèbre en Suisse : c’est le grand peintre d’histoire du nationalisme suisse. Issu d’une famille pauvre, ses parents et ses 5 frères et sœurs sont emportés par la tuberculose. Venu à Paris, il est soutenu par le peintre Puvis de Chavannes mais ne rencontre pas le même succès qu’en Suisse. Son autoportrait est réalisé en 1914, au moment où il dénonce publiquement les destructions commises par les Allemands. C’est aussi l’année où sa maîtresse tombe malade : victime d’un cancer, elle meurt en 1915 et Hodler ne lui survivra que 3 ans.
Quant à Munch, son Autoportrait après la grippe espagnole témoigne comme son titre l’indique des ravages de la maladie sur le peintre. Son visage est halluciné, les touches de peinture sont très allongées et la palette de couleurs très expressive transmet vraiment l’angoisse et la destruction.
Les œuvres des trois artistes mettent à l’honneur le genre du paysage avant tout. Car le modèle gréco-romain a été exploité et réexploité, il est temps de renouveler les sujets ! Le Promeneur à l’orée du bois de Hodler (1885) est un très bel exemple de peinture sans histoire proprement dite, plutôt une méditation sur le rapport de l’homme avec la nature. Le travail sur les multiples nuances de vert est remarquable et les arbres effilés font penser à ceux des estampes japonaises en vogue à l’époque.
En parallèle, Monet développe le style Impressionniste avec Renoir à partir de 1869, et sera exposé au Salon des Refusés de 1874 en marge du Salon officiel de l’Académie. Il inspire notamment Le Ruisseau de montagne d’Hodler venu s’installer à Paris.
Munch quant à lui est inspiré par le néo-impressionnisme de Seurat ou Signac pour La Seine à Saint-Cloud. La toile est composée de bandes horizontales, sans point de fuite. Mais regardez bien les ombres, ne vous paraissent-elle pas étranges ? Et pas seulement parce qu’elles sont bleues. L’ombre de l’arbre et celle de la balustrade partent en fait dans des sens opposés ! Munch sacrifie le réalisme au profit de la sensation de douceur créée par ces ombres.
Son pendant en nocturne est particulièrement magnifique et étonnant : au premier regard, on dirait une peinture classique de vue de nuit. Mais en y prêtant plus attention, on se rend compte que les ombres sont trop marquées pour des ombres de nuit. La lumière elle aussi est trop marquée, avec ces touches jaunes au-dessus du pont qui rappellent La Nuit étoilée de Van Gogh. L’arbre n’est pas du tout réaliste non plus : fantomatique, il semble jeter une ombre inquiétante sur la ville. Si je me suis crue dans Midnight in Paris de Woody Allen au premier regard, je termine plutôt dans un film de Tim Burton !
Une influence majeure est aussi celle de Cézanne, particulièrement chez Hodler. Dans Au pied du Salève petit, il peint des masses de feuillages et d’arbres qui rappellent le pré-cubisme. Il prolonge ce thème dans sa série de montagnes suisses : Le Grand Muveran, Le Glacier de Grindelwald ou Le Lac de Thoune et la chaîne du Stockhorn. Il questionne alors les limites de notre œil : nous ne voyons pas les choses telles qu’elles sont, notre vision les modifie. Les nuances de blanc, les reflets de la montagne sur le lac, le sommet des montagnes qui nous apparaît plus sombre alors qu’il ne l’est pas en réalité… Hodler choisit de représenter ce que nous voyons et pas ce qui est réellement. Je trouve aussi que l’influence japonaise se ressent fortement dans ces toiles qui me rappellent les Vues du Mont Fuji d’Hokusai !
Et savez-vous pourquoi Les dents du midi depuis Chambéry est un témoignage des avancées de la Révolution industrielle, alors qu’il s’agit d’un paysage on ne peut plus naturel ? Tout simplement parce qu’avant le peintre n’aurait jamais pu arriver jusqu’à ces alpages ! Vers 1850 commence à se développer une société de loisirs grâce aux avancées technologiques, et la montagne attire davantage depuis que son air est recommandé par la médecine moderne.
Je ne connaissais pas cette série de peintures d’Hodler, elles sont vraiment superbes ! Décidément, entre les nymphéas, les cathédrales ou les montagnes, les séries sont à l’honneur chez les peintres. Et pas n’importe lesquelles : leur sujet est la variation de la lumière elle-même, une véritable Révolution dans l’Histoire de l’art !
C’est aussi à Marmottan que vous pouvez voir le célébrissime Impression Soleil Levant. Après l’avoir vu, le critique d’art Louis Leroy écrit un article cinglant intitulé « L’exposition des Impressionnistes », inventant à cette occasion le nom du mouvement. La problématique du tableau est de réussir à peindre ce qu’on ne voit pas, quand le soleil nous aveugle. A l’aide d’une palette orange et bleue, Monet réussit à rendre l’illusion d’optique du soleil dans les yeux, si puissant que tout autour de lui paraît flou et gris.
Munch se pose la même question mais traite le sujet différemment dans Le soleil, que je trouve particulièrement magnifique. Dans cette toile presque abstraite, l’artiste représente un soleil blanc, à la lumière transparente qui se diffuse en cercle.
La question du blanc revient dans Neige fraîche sur l’avenue, qui cherche à représenter le côté mouvant des flocons qui tombent. Ce tableau est vraiment frappant, car on sent immédiatement comme un sentiment de malaise. Les couleurs vert et violet sont assez angoissantes, et le paysage est fermé en cul de sac, avec quelque chose de mouvant qui semble s’avancer vers nous… Comme dans un cauchemar !
Les Maisons dans la neige, Norvège de Monet sont plus apaisées, avec un travail sur le blanc vraiment exceptionnel. Dans cette journée blanche, le sol et le ciel se mélangent. Les couches successives de blanc mêlé de bleu donnent l’impression de zones glacées. Encore un chef-d’œuvre !
Le thème de l’eau est aussi récurrent chez ces artistes. Dans La débâcle à Vetheuil, Monet représente l’eau sous toutes ses formes : quand on regarde le tableau de loin, l’effet est très réussi ! La Barque est aussi une très belle toile, mais sans le bateau on ne comprendrait pas forcément qu’il représente des algues sous l’eau transparente.
Ces artistes ont finalement en commun de représenter davantage leur sensation devant un paysage que la réalité du paysage lui-même. Ils ont été comme libérés par l’arrivée de la photographie, qui se charge pour eux de fixer la réalité ! La sensation n’est-elle pas au-dessus de la simple vision ? Monet le prouve encore avec La maison vue du jardin aux roses : presque de l’abstraction et un sujet passionnant : le ressenti de l’artiste !