
Chez Hitchcock, la mise en scène est clé. Au point qu’on en oublie parfois le scénario au profit d’images fortes : l’avion poursuivant Cary Grant dans « La mort aux trousses », la scène de la douche dans « Psycho »…

Dans « Les enchaînés » (1946 – « Notorious » en VO), Cary Grant joue Devlin, un agent secret qui recrute Alicia (Ingrid Bergman) comme espionne et en tombe amoureux. Malheureusement, leur histoire d’amour naissante est bien vite compromise… Car la mission de la jeune femme consiste à séduire Sebastian, un Allemand réfugié à Rio, afin d’infiltrer son groupe d’anciens nazis et de mettre à jour leur trafic douteux.
Quand Sebastian lui propose de l’épouser, Alicia prévient Devlin. Mais le manque de réaction de son partenaire l’incite à accepter la demande de l’Allemand… Devenue maîtresse de maison, Alicia découvre que son mari cache quelque chose dans sa cave à vin. Avec l’aide de Devlin, elle cherche à percer son secret.

Mais cette quête n’est pourtant qu’un « MacGuffin », c’est-à-dire une excuse pour faire avancer l’histoire. Le suspense est créé grâce à ce prétexte d’espionnage, mais finalement peu importe ce que cache Sebastian.
Ce qui est réellement en jeu, c’est une vérité beaucoup plus intime, liée à la relation ambiguë entre les personnages. Devlin aime Alicia mais le lui cache, tout en souffrant de le voir avec un autre. Et Alicia, persuadée de l’indifférence de Devlin, prend de plus en plus de risques pour lui prouver sa valeur à tout prix.
Le secret cache donc les sentiments, mais il est aussi lié aux images marquantes du film : la clé de la cave cachée dans la main d’Alicia, la bouteille de vin cassée puis remplacée par Devlin pour masquer son intrusion, le baiser des amants pour dissimuler à Sebastian la véritable cause de leur intrusion dans la cave… Et le personnage même d’Alicia est peut-être la plus forte image du film : objet de désir et de violence, elle est à la fois traîtresse et victime, tendre mais capable de tout…
L’intrigue n’est donc qu’un moyen de « dramatiser le désir », comme le dira Pascal Bonitzer dans Les Cahiers du Cinéma dans les années 80. C’est en effet à cette époque que le film est redécouvert et apprécié à sa juste valeur, après avoir été très critiqué lors de sa sortie.
Le cinéma est ainsi capable de proposer des films dans lesquels l’image s’émancipe du scénario. Godard disait « ce n’est pas une image juste, c’est juste une image ».
