Rio Bravo, ou quand la comédie s’invite au pays du western

Ce western d’Howard Hawks, datant de 1959, est un classique du genre. Dans la petite ville de l’Ouest de Rio Bravo, John Wayne campe un shérif exemplaire, John T. Chance. Il doit faire face à une bande de truands particulièrement sans pitié qui terrorisent la ville. Pour cela, il n’est aidé que par deux compagnons : Dude (Dean Martin), un ancien ivrogne qui est la risée des habitants, et Stumpy, un vieil homme estropié qui ne mâche pas ses mots.

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John Wayne interprétant le shérif Chance

Le film commence dans un saloon, où Dude vient quémander à boire sans avoir un sou. Il est humilié par Joe Burdette, dont le frère Nathan est le plus dangereux brigand de la ville. Une bagarre s’engage, au cours de laquelle Joe tue un innocent désarmé. Le shérif Chance réussit à l’arrêter pour meurtre avec l’aide de Dude et le conduit dans la prison gardée par le vieux Stumpy. Nathan Burdette, un homme riche qui a semble t-il des dizaines d’hommes à sa solde, bloque alors les accès de la ville pour empêcher le transfert de son frère. Il jure qu’il libérera Joe, quel qu’en soit le coût en vies humaines.

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La bande à Burdette menace Chance

Le trio Chance, Dude et Stumpy semble donc bien mal en point, à devoir résister seul contre la bande de Burdette armée jusqu’aux dents… Ils seront néanmoins aidés par le jeune Colorado, qui veut venger le meurtre de son employeur par l’un des hommes de Burdette, et par Feathers, une jeune joueuse de poker et ex-danseuse de saloon qui tombe amoureuse du shérif.

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Chance, Colorado et Stumpy se préparent à affronter les hommes de Burdette

Ce qui m’a le plus touchée dans ce film, c’est ce trio de personnages Chance / Dude / Stumpy, qui semblent d’abord plutôt rudes mais sont rendus très humains par leurs failles et la tendresse qu’ils ont les uns envers les autres.

Le shérif, leader du groupe, apparaît au début comme insensible et imperturbable, préoccupé uniquement par sa mission de faire régner l’ordre. Pourtant, il reprend Dude comme assistant sans hésiter, alors que celui-ci commence à peine à sortir de son alcoolisme. Et quand Dude manque d’abandonner son poste, Chance feint de ne plus avoir besoin de lui pour mieux lui rendre son estime de soi. Il se laisse également séduire par Feathers, cette femme arrivée par la diligence, alors même que Dude était tombé dans l’alcoolisme à cause d’une danseuse, rencontrée dans des circonstances similaires… Le shérif sans peur et sans reproche n’est donc pas à l’abri des erreurs, et peut lui aussi se laisser distraire de son devoir par sentiment.

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Le shérif face à Feathers

Les doutes et les errances de Dude sont aussi particulièrement touchants, son regard perdu, ses vêtements en haillons, ses tremblements quand il pense ne plus pouvoir s’en sortir. Il tranche avec le personnage de Colorado, peu fouillé et assez caricatural.

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Dean Martin interprétant Dude

Quand à Stumpy, vieux râleur bien sympathique, il ne lâcherait son poste de veilleur pour rien au monde. Sa seule peur est de devenir inutile ou pire, de causer des problèmes : il est complètement désemparé quand il manque de tuer Dude par erreur, ou quand ses amis le laissent à l’arrière au moment de partir à l’assaut de la bande à Burdette.

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Stumpy est le gardien de la prison de la ville

Malgré la situation périlleuse et presque désespérée des personnages, le film garde une forme de légèreté où s’invite la comédie. Ainsi dans les quatre premières minutes du film, sans paroles, l’arrivée de Dude et sa bagarre avec Joe est presque drôle : chaque coup de poing est ponctué par la musique, et quand le shérif débarque et tourne sur lui-même, on dirait presque qu’il esquisse un pas de danse.

De plus en plein milieu du film, presque sans transition avec la scène précédente, les personnages se mettent soudain à chanter, comme si l’on était dans une comédie musicale ! Grâce aux chanteurs Dean Martin et Ricky Nelson (Colorado), on est replongés dans la tradition des westerns chantés des années 30… J’adore cette scène, que vous pouvez retrouver sur YouTube ici.

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Ricky Nelson (Colorado) à la guitare

Les personnages ont aussi une forme d’insouciance, de distance par rapport à leur situation, presque d’autodérision, qui les rend particulièrement attachants et proches de nous. Car au-delà de la menace de Burdette en toile de fond, beaucoup de situations s’apparentent à ce que chacun d’entre nous peut vivre : un chagrin amoureux qui entraîne une dépression, des moments amicaux entre hommes qui se distraient avec une guitare, un flirt entre un homme et une femme rencontrée par hasard…

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Stumpy, Dude et Colorado se détendent pour oublier leur situation périlleuse

Les critiques ont interprété Rio Bravo comme une réponse au célèbre Le train sifflera trois fois, dans lequel le shérif, confronté à un problème similaire avec une bande de hors-la-loi, demande de l’aide aux civils en vain. Ce film se veut une métaphore du Maccarthysme car le silence des habitants de la ville fait écho au silence de l’Amérique qui laisse faire McCarthy, dans sa persécution des communistes au début des années 50.

Il est vrai qu’à l’inverse dans Rio Bravo, le shérif assure pleinement ses responsabilités et, bien loin de lui demander de l’aide, essaye au maximum d’éviter tout danger à la population civile. Mais surtout, le western ne cherche pas à se justifier par un intérêt supplémentaire, à être un « sur-western » selon l’expression du critique André Bazin. Ici, pas de référence à un contexte social extérieur. La richesse du film vient bien plutôt du contraste entre la gravité du contexte et le comique des situations, de l’attachement du spectateur envers les personnages et de la légèreté qui ressort de l’ensemble.

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2 réflexions sur “Rio Bravo, ou quand la comédie s’invite au pays du western

  1. Thank you for such tremedously touching and tender thoughts on the classic western, « Rio Bravo. » We very much appreciate you kindest of kind words on the character of the Dude as portrayed by Mr. Dean Martin. Know that your reverent reflections have been shared with all the readers of ilovedinomartin.

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