La beauté des mondes de Zao Wou-Ki chez Christie’s

J’ai eu la chance incroyable de découvrir en avant-première l’exposition « Sur les Chemins de la Calligraphie » de l’artiste franco-chinois Zao Wou-Ki (1920-2013) chez Christie’s. Il est assez rare pour la célèbre maison de ventes aux enchères de proposer une véritable exposition monographique, pensée et scénographiée, et non une simple réunion d’oeuvres précédant une vente. « Sur les Chemins de la Calligraphie » rassemble aussi bien des oeuvres disponibles en vente directe ou intégrées à de futures ventes aux enchères, que des oeuvres de collections particulières prêtées spécialement pour l’occasion.

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Ce projet passionnant nous entraîne dans les mondes que fait surgir le peintre, tout en beauté subtile et poétique. Né à Pékin, Zao Wou-Ki est formé à la peinture traditionnelle chinoise à l’Ecole des Beaux-Arts d’Hangzhou et initié à la calligraphie par son grand-père. Pourtant, subjugué par sa découverte de l’art occidental (les Impressionnistes, Matisse ou Picasso), il décide de tout quitter pour s’installer à Paris en 1948. Il n’a alors que 28 ans.

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Sans titre (1988) et Portrait de Zao Wou-Ki dans son atelier parisien (Jean-Baptiste Huyn, 2006)

Installé près de Montparnasse, il fréquente les artistes de son temps et se lie d’amitié avec Pierre Soulages ou Hans Hartung. Il semble alors rejeter ses influences chinoises : d’abord fasciné par Paul Klee et son langage des signes picturaux, il se tourne ensuite vers l’abstraction dès les années 50. Mais c’est surtout à partir des années 60 que son style unique se met en place et qu’il se laisse à nouveau inspirer par la tradition artistique de son pays natal – avant tout la calligraphie qui ne le quittera plus.

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Sans titre (1983)

L’exposition, thématique, a pour objectif de décrypter l’influence de cet art graphique dans la peinture de Zao Wou-Ki. Au fil de la quarantaine d’oeuvres présentées, le parcours nous immerge dans une oeuvre au pouvoir évocateur puissant, entre poésie et force plastique. Dans le magnifique cadre des galeries de Christie’s rue Matignon, les oeuvres sont très bien mises en valeur par un éclairage plus ou moins tamisé selon la thématique abordée.

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Hommage à Henri Michaud 25.01.64 (1964)

Le visiteur commence par une salle d’introduction, partagée avec l’exposition de bande-dessinée voisine (notamment deux planches originales d’Hergé qui seront vendues à prix d’or !). Le parallèle est bien pensé, puisque les deux arts mêlent écriture et dessin. Mon regard a été immédiatement capté par l’extraordinaire portrait de Zao Wu-Ki, où l’artiste rayonne. Les deux autres oeuvres nous annoncent la suite : une peinture et une oeuvre à l’encre, deux techniques différentes, deux univers créés mais qui entrent déjà en résonance l’un avec l’autre.

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12.12.62 (1962) à gauche, et deux planches authentiques d’Hergé à droite

C’est l’écriture qui s’immisce d’abord dans les peintures de l’artiste, ces traits calligraphiques qui évoquent des caractères chinois anciens. Ils sont comme les préludes d’un retour aux sources, qui se poursuit par la réapparition de l’encre dans les années 70. Le visiteur en a la preuve éclatante dans la salle suivante, consacrée à ces oeuvres en noir et blanc. L’effet d’ensemble est hypnotisant : des ombres sinueuses aux contours flous tracent leur chemin sur la toile. Elles sont comme des apparitions dont les formes s’entremêlent et résonnent avec nos émotions.

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La magnifique « salle des encres »

Comme me l’a expliqué la passionnante (et passionnée) Clara Rivollet, conceptrice de l’exposition, l’encre est un médium exigeant : technique de l’instantané, il permet une grande spontanéité, mais n’autorise pas le moindre repentir. L’importance du blanc dans ces oeuvres est aussi primordiale : dans la culture taoïste, ce n’est pas un espace vide mais bien plutôt un vecteur d’énergie, qui vibre face à son noir complémentaire. Ici pas de haut ni de bas, pas de perspective ni de sens prédéfini : c’est à chacun de laisser parler son imaginaire.

Sans titre, encre et lavis, 89 x 116 cm.
Sans titre (1972)
Encre et lavis d’encre sur papier Japon marouflé sur papier
69 x 116.2 cm.
Vente : Vente du Jour « Art d’Après-Guerre et Contemporain », Christie’s Paris, 8 juin 2018
© Christie’s Images Limited

La salle suivante est un vrai choc visuel : sur le mur du fond, le chef-d’oeuvre 29.01.64 éclipse tout par sa puissance et son intensité. Son très grand format (2,6m de haut) permet au visiteur qui s’approche d’être complètement immergé dans la peinture, surprenant mélange d’ombre et de lumière. Le dégradé de bruns jusqu’au blanc est parsemé de lignes calligraphiques noires superposées qui m’évoquent un gouffre au milieu de la toile. Le choix de la scénographie est ici particulièrement pertinent : ce grand espace blanc est comme un écrin pour une oeuvre unique. Sur le mur de gauche, les petits formats en sont comme les échos.

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29.01.64, huile sur toile
29.01.64 (1964)
Huile sur toile
260 x 200 cm
Exposition : sera exposé au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
© Christie’s Images Limited

Mais sur le dernier mur, l’association de deux oeuvres, l’une à l’encre et l’autre à la peinture à l’huile, est aussi très marquante. Les lignes sinueuses sombres qui barrent chacune semblent presque ne faire qu’un, comme une seule ondulation partant de l’une pour envahir l’autre.

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19.03.70 (1970) et Sans titre (1972) à droite

L’exposition aborde également la relation profonde et féconde du peintre avec les écrivains et poètes de son temps. On découvre par exemple les très beaux caractères abstraits (sans signification) tracés sur un sublime papier brun, pour l’ouvrage de Pierre Lecuire Le livre réfléchi (1987). Plus loin, un mur entier est dédié au dialogue entre des oeuvres « illustratives » et des aquarelles qui leur font écho. La technique de Zao Wou-Ki témoigne ici plus que jamais de ses réminiscences chinoises, et montrent combien sa double appartenance culturelle a enrichi son travail artistique.

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Sans titre (1959) à gauche

La dernière salle, d’inspiration plus libre, mélange des oeuvres de différentes époques de la carrière de l’artiste. Elle permet d’appréhender l’évolution de l’artiste et témoigne notamment du retour à la couleur et à la peinture en plein air de Zao Wou-Ki vers la fin de sa carrière. Les aquarelles deviennent plus diluées, le geste plus souple, la composition plus spontanée. L’oeuvre 01.06.94, au bleu intense et à la touche fluide, m’a particulièrement touchée. Sur le mur d’en face, les couleurs de feu de 09.01.70 rappellent Turner.

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01.06.94 (1994)
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L’accrochage est à peine terminé dans la dernière salle de l’expo !

L’exposition montre donc très bien comment Zao Wou-Ki a développé une pensée de l’écriture grâce à ses connaissances calligraphiques. Par des allers-retours entre encre et peinture, il manipule les textures et crée des reliefs aussi bien par ses couches de matière picturale, qu’en jouant sur le niveau de dilution de son encre. Ses oeuvres, véritables évocations expressives, surgissent de la rencontre entre deux pays, deux traditions, deux mondes qui en enfantent de nouveaux.

28.02.67, huile sur toile
28.02.67 (1967)
Huile sur toile
89 x 116 cm.
Vente : Vente du Soir « Art Asiatique du XXème siècle et Contemporain », Christie’s Hong Kong, 27 mai 2018
© Christie’s Images Limited

« Sur les Chemins de la Calligraphie » est conçue comme une avant-première de la grande rétrospective du Musée d’Art Moderne (MAM), dont l’ouverture est prévue le 1er juin 2018 (où l’on pourra d’ailleurs retrouver l’oeuvre phare 29.01.64). Ces deux événements montrent un regain d’intérêt pour le travail de Zao Wou-Ki, un peu oublié ces dernières années. Le MAM mais aussi le Centre Pompidou, qui possèdent des oeuvres de l’artiste dans leurs collections, vont donc contribuer à la redécouverte de cet artiste passionnant qui est une véritable star en Asie.

Ne manquez pas cette opportunité de découvrir l’oeuvre de Zao Wou-Ki dans un cadre calme et intimiste, permettant de profiter au mieux de ces chefs-d’oeuvre. L’entrée est libre et gratuite, mais il ne faut pas tarder : l’exposition sera ouverte uniquement les samedi 28 et lundi 30 avril, ainsi que mercredi 2 et jeudi 3 mai 2018 (de 10h à 18h, au 9 rue Matignon à Paris). Un vrai coup de coeur pour moi, j’espère qu’il en sera de même pour vous !

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2 réflexions sur “La beauté des mondes de Zao Wou-Ki chez Christie’s

    1. Merci beaucoup pour votre message, cela me fait vraiment très plaisir d’avoir pu vous le faire découvrir ! Si vous avez l’occasion de passer chez Christie’s n’hésitez pas à entrer, car les photos ne peuvent pas vraiment rendre justice aux oeuvres et à ce que l’on ressent devant 🙂

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